Un match, deux visions ...

Publié le : 10/04/2020 06:29:38
Catégories : L'actualité du squash

Le squash de père en fils ...

Par la force des choses, l'actualité est très calme en ce moment. Mais en attendant la reprise des compétitions, My Squash continue à vous proposer des articles hebdomadaires, dont certains sortiront des sentiers battus. Aujourd'hui, on vous propose le récit d'un match entre un père et un fils, avec une vision des choses très différente de chaque côté ...

Grâce aux réseaux sociaux, nous avons récemment découvert la voix de Camille Serme. Mais la numéro 1 française n'est pas le/la seul(e) joueur/joueuse de squash à avoir une âme d'artiste : ceux qui suivent son blog connaissent le talent d'écrivain de Laurens Jan Anjema, ancien membre du top 10 mondial. Dans cet essai dont vous proposons la traduction aujourd'hui, le Néerlandais nous raconte ses séances de squash avec son père, tout en invitant ce dernier à donner sa vision des choses. Bonne lecture ...

Robert Jan Anjema et son fils Laurens, après la victoire de ce dernier au championnat du monde +35 ans en 2018 à Charlottesville (Crédit photo : Laurens Jan Anjema) 

Un squash avec mon père

C’est vendredi, ce soir je joue au squash avec mon père. Depuis que j'ai quitté le circuit professionnel, on se donne rendez-vous deux fois par semaine pour évacuer le stress après le boulot. C'est toujours la même histoire : je m'échauffe avec le plus grand sérieux (des restes d’une vie antérieure ...), alors qu'après deux levers de genou il est prêt à attaquer. Sa raquette date de la préhistoire, et son T-shirt est rentré dans un short à rayures qui s'arrête largement au-dessus des genoux. Mais je ne peux pas vraiment me moquer de lui, c'est moi qui lui ait offert pour son anniversaire il y a quelques années.

On rentre sur le court qui porte mon nom, mais la fierté n'a pas sa place ici : le jeu qui est sur le point de démarrer est sans pitié pour les deux camps. Ça commence par un petit exercice de parallèle-double mur à la Shabana. Le joueur à l'arrière du court fait un double mur et un amorti, et celui à l'avant deux parallèles. Mon père se tient sans doute trop près de la balle, mais je ne peux pas lui dire. Il a deux titres nationaux de plus que moi à son palmarès, et je suis sûr que lui aussi se retient de me donner des conseils techniques. Vous trouverez peut-être ça bizarre, mais c'est notre manière à nous de se respecter mutuellement ...

Un squash avec mon fils

C’est vendredi, et j’ai hâte de jouer contre Laurens Jan après une longue journée de travail. Depuis qu'il a mis fin à sa carrière, il ne prend plus les choses autant au sérieux. Mais comme la compétition lui manque tout de même, je suis soudainement devenu son souffre-douleur. J'avoue que je suis un peu en retard : un client important a appelé juste au moment où j'allais partir. J'aperçois LJ en train de faire son échauffement sur le court, déjà en train d'essayer de me montrer qu'il peut encore sauter haut et courir vite, le tout sans sa raquette. De mon temps, on jouait avec une raquette. Ça peut servir au squash, non ?

Il me montre ensuite à quel point il est souple. Tout y passe, les bras, puis les jambes. Pas sûr que ces positions bizarres soient utiles pour récupérer une balle ou bien centrer une frappe … Il utilise une raquette haut de gamme, cordage tout neuf et équilibre parfait. De mon côté, j'en ai sorti une du sac, sûrement un vieux modèle avec lequel il ne veut plus jouer. Sa tenue est impeccable – bandeau et poignets assortis – quand je porte un vieux T-shirt et un drôle de short à rayures trop court, qu'il m'a offert pour mon dernier anniversaire. Ce n'est pas vraiment la tenue qu'un homme de mon âge devrait porter, je suis d'accord. Mais que ne ferait-on pas pour faire plaisir à son fils ?

Il me rappelle en permanence que le court porte son nom. C'est marrant car j'ai le même, et qui joue depuis le plus longtemps ici ? C'est toujours la même histoire. Je dois faire des exercices avec des noms bizarres dont je suis censé me souvenir … Le double mur parallèle à la Shabana, les séries d'amorties à la Willstrop, et j'en passe. De mon temps, on chauffait la balle et on commençait le match bille en tête, avec la victoire comme seul objectif. Et moi qui pensais qu'on était là pour jouer au squash !

Crédit photo : SquashSite

Dans ce jeu, il y a deux chaussons placés à l'endroit ou la parallèle idéale est censée atterrir. Je fais du 47, le mien couvre donc la majeure partie de l'arrière du court. Mais mon père fait du 50, et on se débrouille comme on peut. Les règles du jeu sont en sa faveur, car j'ai l'avantage de l'âge. Je ne peux jouer qu'à l'arrière tout en visant les chaussons, alors qu'il peut jouer partout. Tous les 10 points, je parcours 20 fois la longueur du court en sprintant. Touchez le chausson, vous marquez trois points. De volée, ça fait cinq. Le premier à 21 points a gagné, autrement dit le dernier qui tient debout …

Faire vingt sprints tous les dix points ne m'aurait pas dérangé il n'y a pas si longtemps. Aujourd’hui c'est une torture. Le pire, c'est que mon père me regarde courir de l'avant à l'arrière du court d'un œil sadique, tout en s'essuyant le visage et en sirotant sa boisson énergétique. À peine la vingtième longueur terminée, il s'empresse de me passer gentiment ma raquette, et sert à toute vitesse. Pendant deux minutes, son fils a le même âge que lui ...

Ce jeu, c'est un peu comme un yo-yo. Je prends de l'avance, puis les sprints pèsent lourd dans les jambes et il revient au score. Mais c'est dur pour lui aussi, bien plus qu'auparavant. Il n'a plus le droit de laisser filer quand il a quelques points de retard, sous prétexte que je suis « trop fort » ou « trop jeune. » Tous les dix points, c'est comme si on lui jetait une bouée de sauvetage. Mais il n'a pas toujours envie de l'attraper, car ça veut dire que pour lui aussi que la torture continue.

En tant que père, on transmet à ses enfants tout ce que l'on a appris. Dès leur plus jeune âge, je leur ai enseigné tout ce que je savais en matière de squash. Mais désormais, quand je veux corriger (et par corriger, j'entends améliorer) quelque chose, par exemple lui dire de volleyer plus et plus tôt, la sagesse me pousse à me taire car je connais déjà ses réponses : « Papa, c'est dépassé tout ça. Neil Harvey dit toujours ceci et cela, Rory Watt m'a toujours dit que ... » D'autres noms d'entraîneurs connus me seront jetés à la figure, et je ne suis que son père. Avec deux titres nationaux de plus que lui, soit dit en passant.

Les règles sont enfin définies, et je tâche de m'en souvenir. Au beau milieu du jeu, mon ancien joueur professionnel de fils se met soudainement à sprinter sur la longueur du court. Un peu comme s’il essayait de me dire, « Papa, regarde comme je suis en forme ! » Mais dans le même temps, il oublie que j'attends immobile, que mon vieux corps et mes muscles refroidissent et se raidissent. Il ferait n'importe quoi pour essayer de me battre. Il y aussi les chaussons, dont on a besoin comme cibles. Il prend le sien, qui est plus petit que le mien (du 50) … Si on échangeait, ce serait trop facile pour lui ... J'ai promis à LJ de prendre ses chaussons de bébé la prochaine fois.

Quand il joue contre moi, il frappe de toutes ses forces. Papa, c'est comme ça sur le circuit ! Il a donc inventé ce jeu basé sur la longueur de balle, pour pouvoir frapper aussi fort que possible au fond du court, en permanence. « Pas de problème, fiston. Moi je m'occupe des doubles murs, des volées et des amorties déposées. C'est à dire les coups qui nécessitent du toucher ... » Les matches entre nous sont toujours super, et on s'amuse bien. Bien évidemment, je suis fier que mon fils, un ancien joueur pro, joue encore au squash avec moi.

Crédit photo : Laurens Jan Anjema

Depuis le lancement de ce nouveau jeu (en juillet 2017 si je me souviens bien), on descend les escaliers en boitillant tous les samedis et lundis matins. Nous demandons à nos compagnes de nous préparer des repas riches en protéines, prêts à notre retour afin de garantir une récupération optimale. On a perdu quelques kilos, bu des litres d’eau de coco et cassé je ne sais combien de raquettes devant un public de plus en plus nombreux. Et on a même commencé à faire payer l'entrée ...

La semaine dernière, le club nous a proposé d'installer un court vitré sur le toit à côté de l'héliport, afin que les spectateurs en provenance des quatre coins du globe puissent assister à ce choc des générations. Au départ, c'était des retrouvailles entre un père et un fils. Aujourd'hui, c'est devenu un combat de rue …

Laurens Jan Anjema

Il y a des bons côtés à jouer contre Laurens, et ce ne sont pas forcément les repas faits maison et riches en protéines servis par ma femme quand je rentre à la maison. Non, c'est plutôt que ces soirs-là, je me me couche très tôt et m'endors comme un bébé. Le très mauvais côté, c'est qu'il publie des articles sur les réseaux sociaux et raconte qu'il bat son vieux père, à un jeu dont les règles étranges ont pour unique but de lui garantir la victoire.

Puis il me dit combien de personnes ont réagi à l'article, et que des gens l'ont liké. Battre son père deux fois par semaine alors que j'ai deux fois son âge, il y a vraiment de quoi être fier ? De mon temps, on pouvait seulement envoyer un télégramme puis passer un appel téléphonique (je parle d'un appareil avec un fil) pour dire à une seule personne qu'on avait gagné !

Robert Jan Anjema

Retrouvez les version originales (en anglais) sur le blog de Laurens Jan Anjema

Squash with dad

Squash with my son

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